La gardienne est partie à la retraite et le conseil syndical m’a demandé de ne pas la remplacer. La loge est vide depuis un an, un copropriétaire voudrait l’acheter.
J’inscris sa demande à l’ordre du jour de l’assemblée générale.
Les deux-tiers des tantièmes sont là, ça faisait un bail, et je n’ai pas oublié d’inscrire au préalable la suppression du poste de concierge. Jusqu’ici tout va bien, je lance le débat : «Monsieur Lacrampe, vous souhaitez acquérir la loge pour 100 000 €, c’est bien cela ?».
Il n’a pas le temps d’ouvrir la bouche que son voisin de gauche, M. Ledroit, lui coupe la parole : «Cette loge ne peut pas être vendue ! Elle fait partie du standing de la copropriété, sa suppression porterait gravement atteinte à la destination de l’immeuble. Il faut l’unanimité !». Dommage, j’avais mis l’article 26. Je lui suggère de voter contre et de contester dans les deux mois.
Le voisin de droite, Mr Ledure, s’exprime à son tour, M. Lacrampe n’a toujours pas ouvert la bouche : «100 000 € ce n’est pas le prix du marché, ça vaut le double ; ce n’est pas parce que vous êtes copropriétaire qu’on va vous en faire cadeau, à ce compte-là ça m’intéresse et j’achète aussi !». Ambiance.
M. Lacrampe, dos au mur, peut enfin parler, mais il sent bien que l’affaire est mal engagée : «J’aimerais acheter cette loge pour les études de mon fils». Il tente d’avoir l’assemblée par les sentiments mais personne ne réagit. Il poursuit sa plaidoirie et durcit le ton : «Vous avez vu dans quel état se trouve cette loge ? Il y en a pour 30 000€ de travaux au bas mot ! De plus, au rez-de-chaussée, il n’y a aucune lumière, c’est lugubre [la gardienne apprécierait]. Et je vous rappelle Monsieur que vous aviez eu le bout de couloir pour 1 000 € en 2009, ça non plus ce n’est pas le prix du marché !».
Je compte les points et surtout je ne prends pas partie. M. Ledure ne se dégonfle pas et lui rétorque : «Vous ferez quand même une belle plus-value quand vous revendrez, et on se retrouvera avec un inconnu qui va nous mettre des locataires airbnb !». Remous dans la salle. Au dernier rang Mme Latuile, qu’on n’avait pas encore entendu, lève la main : «J’ai une idée, on a qu’à louer la loge nous-mêmes au lieu de la vendre ?». « Pas possible, ce n’est pas à l’ordre du jour !», lui répond sèchement M. Ledroit.
Le temps passe, je les laisse s’écharper un peu, pour une fois ce n’est pas sur moi. Je m’apprête à les faire voter, mais M. Ledure relance la machine : «Moi, je fais une offre à 120 000 € !». Sensation. Les enchères commencent, j’allume la bougie, je fais le commissaire-priseur. Finalement, Monsieur Lacrampe, dépité, retire sa proposition. De toute façon, nous n’avions pas la majorité, ce beau petit monde n’a pas réussi à se mettre d’accord. Qu’à cela ne tienne, on recommencera l’année prochaine. En attendant, la loge restera vide une année de plus, ni vendue, ni louée, ni gardienne.
Chronique assurée et rédigée par l’Association nationale des gestionnaires de copropriétéMembre de l'ANGC ? Abonnez-vous à la revue à un tarif préférentiel !
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